Les fondamentaux du pilotage sur circuit… chapitre 7

Ceci est la reprise du chapitre 7 de mon livre sur le SimRacing que je publie ici afin de compléter une vidéo sur ce sujet (les réglages de la voiture) que j’ai publié sur YouTube…

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7- Le pilotage d’une voiture de course…

L’importance du contexte pour orienter les réglages

Tout d’abord, il est important de comprendre qu’on va toujours orienter la démarche de réglages en fonction du contexte et de l’objectif visé. Le contexte est très variable puisqu’on ne va pas régler la voiture de la même façon si l’on est dans une séance de qualifications ou si on la prépare pour la course, si il s’agit d’une course sprint ou de longue distance, selon la météo, la catégorie (et donc le type, la construction et même l’architecture générale de la voiture en question) et encore d’autres paramètres que nous passerons en revue un peu plus loin. On le voit, l’enveloppe des réglages en fonction du contexte est déjà très vaste et complexe !

Mais, en plus de l’importance de l’environnement à prendre en compte, il faut aussi et surtout tenir compte de l’objectif à atteindre… En effet, il serait naïf de penser qu’on va régler la voiture uniquement dans l’optique de la rendre plus performante car alors, on n’arriverait à rien de concret. Car, en fin de compte, la performance potentielle ne veut rien dire, seule compte vraiment la performance réelle dans un contexte donné. Et l’élément N° 1 de ce contexte, c’est le pilote lui-même, celui qui est au volant et qui doit être en mesure d’exploiter tout ce potentiel pour être performant en piste… Une fois qu’on a compris cela, on sait qu’il est inutile de confier la voiture la « meilleure possible » en théorie si celle-ci n’est pas adaptée à son pilote.

En pratique, on sait bien qu’une voiture réglée pour être facile à conduire va être emmenée bien plus rapidement par son pilote que la même réglée uniquement dans une optique de performance pure, mais difficile à contrôler par ce même pilote. C’est pour cette raison que les ingénieurs acceptent d’ajouter de l’appui aérodynamique si le pilote se plaint de la stabilité de sa monture au freinage même en sachant que cela va réduire la vitesse de pointe : le gain de confiance ainsi obtenu va immédiatement se traduire par de meilleurs temps au tour alors que, en théorie, on aura un peu réduit la performance optimale de l’engin…

Tout cela pour dire qu’on règle toujours en ayant ces deux impératifs en tête :

1— rendre la voiture « facile à conduire » afin qu’elle soit bien exploitée par son pilote,

2 — adapter la voiture aux contraintes du moment (type d’épreuve, type de tracé, etc.).

Les réglages pour faciliter le pilotage, pas pour masquer les lacunes de ce dernier

Donc, la notion de performance optimale théorique n’entre jamais en ligne de compte puisque c’est bien là le moyen le plus sûr de se fourvoyer. C’est aussi pour cette raison que les réglages sont bien quelque de chose de très personnel. Même si le pilote le plus rapide de votre ligue partage ses fichiers de réglages avec vous, ce n’est pas forcément cela qui va vous faire aller plus vite si ces derniers ne sont pas adaptés à votre pilotage.

De plus, il est critique de comprendre comment votre pilotage peut influencer le comportement de votre voiture pour appliquer les bons réglages qui vont optimiser votre voiture et non pas masquer une mauvaise pratique de votre part. Un exemple pour illustrer cette autre façon de se fourvoyer…

Mettons que vous avez décelé une nette tendance au sous-virage en entrée de virage. On peut facilement combattre et corriger cette tendance en changeant la répartition du freinage (en ajoutant plus de freins sur le train arrière en l’occurrence), mais est-ce bien la bonne solution à appliquer ?

Et si ce sous-virage n’avait pas plutôt pour origine une volonté excessive du pilote de « rentrer fort » (trop fort !) dans le virage ?

En effet, si vous avez tendance à freiner très tard et très loin dans le virage, vous allez sans doute trouver que la voiture est plutôt sous-vireuse alors que son équilibre est bon quand on la pilote de façon « normale »…

Sous-virage et survirage sont des notions qui reviennent tout le temps quand on décrit l’attitude d’une voiture de course et qu’il est important de comprendre une bonne fois pour toutes si on veut savoir décrire et analyser le comportement de sa voiture dans une situation donnée.

Pour faire simple, contentons-nous de cette définition : le sous-virage, c’est quand le train avant de la voiture glisse… La trajectoire s’élargit vers l’extérieur du virage. Le survirage, c’est lorsque le train arrière se met à glisser… Le nez de la voiture se met alors à pivoter vers l’intérieur du virage.

Le but des réglages est d’obtenir un bon équilibre entre ces deux tendances qu’on va retrouver tour à tour selon le type de virage, l’usure des pneus et d’autres paramètres. Aucune voiture n’est fondamentalement sous-vireuse ou survireuse, car les réglages permettent toujours de combattre ces tendances ou, au moins, de les amoindrir fortement.

Certains pilotes détestent piloter une voiture avec une tendance sous-vireuse alors que pour d’autres, ce sera exactement l’inverse. Une fois de plus, c’est là qu’on voit qu’on règle une voiture en fonction des préférences de son pilote. Le but est que le pilote soit « confortable » au volant afin qu’il puisse donner le meilleur de lui-même et non qu’il soit obligé d’affronter sa voiture (comme disent les Américains : you race the track, you don’t race your car… soit, à peu de choses près, « vous luttez contre le circuit, pas contre votre voiture »).

Bien évidemment, le comportement en entrée de virage va aussi et surtout dépendre de l’équilibre de la répartition du freinage… Avec une prépondérance sur l’avant, la voiture va être plutôt sous-vireuse alors qu’avec plus de freins sur le train arrière, la même voiture va se révéler plutôt survireuse…

Le type de la voiture va aussi peser : une traction avant sera plutôt sous-vireuse au moment de la remise des gaz alors qu’une voiture avec beaucoup de poids à l’arrière comme une Porsche sera plutôt survireuse en entrée de virage… Et on rencontre une grande diversité de cas !

Donc, ce qui est dit plus haut est basé sur une voiture qui est déjà équilibrée sur le plan de la répartition du freinage (on reparle de cette question un peu plus loin)… Sinon, commencez par vous pencher sur ce point !

Puisque c’est le ressenti du pilote qui va déterminer les changements à apporter, il est important de ne pas se tromper et de ne pas se retrouver à combattre une tendance de la voiture qui, en fait, n’existe pas vraiment… Donc, vous devez toujours vous interroger quand vous êtes confronté à un comportement qui vous gêne : n’est-ce pas dû à moi plutôt ?

Et si je me plaçais là au moment de freiner, ne serait-ce pas différent ?

C’est aussi à ce niveau que les très bons pilotes font la différence : ils ne vont pas confondre comportement réel de la voiture avec leurs fautes de pilotage qui induisent telle ou telle réaction gênante ou parasite. Et ne vont donc pas chercher à corriger un phénomène qui n’existe pas quand on pilote « comme il faut ». Cette restriction n’est pas contradictoire avec la règle maintes fois répétée qui veut que les réglages soient déterminés par le feeling et les préférences du pilote. Cette règle n’est évidemment valable que si et seulement si le pilote en question est capable de déceler une vraie tendance au sous-virage (ou au survirage) dans telle ou telle situation et non une réaction marginale due aux lacunes de son pilotage… Car on ne doit intervenir sur les réglages que quand et où c’est nécessaire : bidouiller dans les réglages à tort et à travers est la meilleure façon de vous perdre en chemin et d’arriver à un résultat médiocre.

D’où la nécessité de tourner de manière régulière pendant ces essais afin de bien pouvoir comparer les effets des réglages et ne pas confondre une amélioration (ou une détérioration) avec un changement de rythme de votre part. On voit ici que notre approfondissement de la culture du sport auto passe aussi par une digression sur quelques fondamentaux du pilotage, cela permettra de continuer sur de bonnes bases avant de vraiment parler de la démarche de réglages…

Pilotage, quelques notions de base…

Le pilotage est « un art simple et tout d’exécution »… Les actions possibles sont limitées : accélérer, freiner et braquer (on doit aussi ajouter « changer de vitesse », mais cette action peut être incluse avec « accélérer » ou « freiner » selon les cas…). Des trois, c’est la première qui compte le plus (c’est-à-dire, qui a le plus d’influence sur votre performance ainsi que sur le comportement de votre voiture) car plus longtemps vous restez en phase d’accélération et plus vous allez vite, au moins en théorie. Le pilotage, c’est le timing — précis — de ces trois actions.

Les résistances à l’avancement sont le vent (les forces aérodynamiques) et le volant (à travers le braquage des roues avant) : souvenez-vous qu’on a souvent tendance à trop braquer. Donc, pour aller vite, on va chercher à être plus souvent en train d’accélérer que de freiner et on va essayer de minimiser ses actions sur le volant… Vu comme cela, cela paraît assez simple, non ?

Négocier un virage comprend les quatre phases suivantes : avant le point de braquage (associé à la zone de freinage la plupart du temps), le point de braquage, le point de corde (aussi appelé « apex ») et le point de sortie. C’est dans ces quatre phases que l’on va enchaîner les actions suivantes : se placer à l’extérieur du virage, freiner, s’inscrire dans le virage en braquant, prendre une trajectoire qui permet de plonger à l’intérieur du virage et de rejoindre le point de corde, et enfin accélérer et débraquer pour s’extraire du virage et rejoindre le point de sortie à l’extérieur.

La trajectoire idéale se résume toujours à « extérieur-intérieur-extérieur » pour les virages simples. C’est un peu plus compliqué dans les enchaînements car il faut souvent sacrifier un peu le premier virage afin de préserver un bon placement pour le second.

Pilotage seul ou en peloton, pareil ou différent ?

C’est très différent : rouler seul est beaucoup plus facile que de rouler en paquet. Cela signifie aussi qu’il y aura deux modes de pilotage : seul où l’on cherche à gagner du temps en tirant ses trajectoires au maximum et en groupe (ou en peloton) où l’on cherche à gagner des places et à protéger sa position. Selon les cas, les trajectoires, les manœuvres, mais aussi les chronos (on est plus lent en course qu’en essais généralement) vont varier sensiblement.

Rouler en groupe est très éprouvant pour les nerfs (mais très excitant aussi !) et je vous recommande de toujours porter votre regard au-delà de votre adversaire immédiat — même si c’est difficile —, pourquoi ?

Si ce concurrent se sort, il y a de bonnes chances que vous le suiviez ou que vous l’accrochiez si votre regard est trop focalisé sur lui. Ce qui nous conduit à la question classique « comment fait-on pour doubler ? »…

Doubler : de la méthode, svp !

Déjà, il faut bien connaître le circuit et ses points clés car il y a toujours des endroits plus favorables que d’autres aux dépassements (et même certains endroits où il ne faut absolument PAS tenter un dépassement !). Ensuite, il faut observer son adversaire sans se coller à lui (voir plus haut) afin de repérer les endroits où il est moins rapide que vous. Enfin, il faut préparer sa manœuvre bien à l’avance : un ou deux tours pour repérer et choisir l’endroit de l’attaque, un demi-tour pour prendre de l’élan (on a laissé un peu de distance et on fonce à nouveau pour combler l’écart) et enfin, porter son attaque de façon irrésistible.

Ce dernier point est important : quand on s’est décidé et qu’on s’est préparé, à l’endroit choisi, il faut y aller sans hésitation et en y mettant le paquet. Une attaque qui échoue (et souvent dans le bac à graviers en plus…) c’est une attaque mal préparée, mais surtout mal exécutée.

Pour finir, retenez cette ligne directrice : aux essais, on fonce alors qu’en course, on gère !

En course, le chrono compte, mais pas tant que cela (à moins d’être vraiment lent), la régularité prime puisqu’il suffit d’une sortie de route, même légère, pour effacer tous les records… Enfin, pour aller vite, la clé ce n’est pas l’attaque, c’est l’aisance. Donc, travaillez en priorité votre facilité de pilotage, le reste viendra tout seul.

Un gouffre qu’on mesure en secondes…

Il faut savoir être patient et méthodique car, disons-le, c’est très délicat d’aller vraiment très vite !

Il y a un monde entre un tour de piste en une minute et quarante secondes (par exemple) et le même tour de ce circuit en 1’35.

Pour rentrer dans ce cercle magique des ultimes fractions de temps au tour, il faut maîtriser la machine, l’environnement et appliquer une série de gestes rapides et précis que l’on doit exécuter sans précipitation…

Vision et vitesse de défilement

Tout le secret tient dans la « vision » que l’on a des choses et de la vitesse interne (dans votre cervelle !) de défilement des gestes et des événements. Plus cette vitesse interne est basse et plus, en retour, on a la possibilité d’aller vite car on dispose du temps nécessaire pour exécuter les gestes et prendre les décisions. Il s’agit là du fameux « piloter lentement » théorisé par Stewart et affiné par Lauda. Sans atteindre la maîtrise de ces deux pilotes d’exception, j’ai pu, quelquefois, sentir ce sommet de sensation qui vous fait aller plus vite que vous ne le pensiez possible.

J’ai remarqué que le stress du pilotage provenait de la « charge de travail » (l’ensemble des gestes à accomplir dans un ordre et un temps donné). Plus la charge de travail est élevée et plus le pilotage est ardu. Dans cette situation, si on veut aller plus vite, on se met à « surpiloter » (ce qui se traduit par des glissades, des écarts de trajectoires ce qui aboutit à des pertes de temps) car nos capacités d’analyses et de décisions sont déjà saturées (c’est ce que l’on appelle la “surcharge cognitive” dans le jargon des pédagogues…).

C’est ici qu’intervient encore la notion de vitesse de défilement. Si vous êtes capable de visualiser à l’avance (d’anticiper donc) ce que vous avez à faire, vous êtes alors plus serein pour choisir le bon moment pour accomplir le prochain geste et le faire avec plus de précision, d’autorité, de maîtrise. Il y a un écart gigantesque en termes d’efficacité entre une manœuvre (freiner puis braquer) exécutée avec calme, et la même faite en « mode panique »…

Pilotage à l’instinct ?

C’est principalement dans l’accroissement de cette capacité à accepter la « charge de travail » que votre pilotage va progresser. Cela peut éventuellement surprendre d’afficher ainsi une approche aussi « intellectuelle » du pilotage alors que cette discipline peut paraître comme un exercice essentiellement instinctif. Je crois au contraire que la part d’instinct doit être réduite (toutefois, elle ne peut être complètement effacée) et qu’il faut être capable de comprendre et ressentir ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Selon moi, c’est seulement ainsi qu’on peut réellement progresser et aller tout à la fois plus vite, mais aussi plus sûrement.

Faible inertie sur ses trois axes

Grossièrement, un véhicule va osciller autour de trois axes en réaction aux forces qu’il subit : l’axe de roulis, l’axe de tangage et l’axe de lacet.

Sur l’axe de roulis, votre voiture de course va se balancer vers la gauche ou vers la droite en fonction de la force centrifuge. Typiquement, dans un virage à gauche, l’engin va se pencher sur la droite (comme un voilier qui prend du gîte sous le vent de travers…). Sur l’axe de tangage, lors du freinage, l’engin va piquer du nez vers le sol alors que pendant l’accélération, le nez va plutôt pointer vers le ciel (représentation évidemment exagérée, mais c’est pour me faire comprendre…). Enfin, l’axe de lacet, c’est le plus spectaculaire, mais, en fait, il résulte seulement des forces exercées sur les deux autres axes. Le mouvement de lacet qui va affecter votre voiture en virage va provoquer une glissade du train avant (la voiture pivote autour d’un axe qui traverse votre châssis du haut vers le bas) ou du train arrière, c’est tout pour la théorie.

Par rapport à une voiture de tourisme, la voiture de course a des réactions très vives, montre peu d’inertie, présente des mouvements d’ampleur limitée sur les axes de tangage et de roulis et est particulièrement sensible au niveau de l’axe de lacet.

De l’importance du débraquage…

En pratique, c’est surtout autour de l’axe de lacet qu’on va sentir les réactions de sa voiture aux sollicitations des commandes (volant, frein et accélérateur). Car une voiture de course est suffisamment raide pour que les sensations de tangage et de roulis soient très réduites (mais pas complètement absentes, évidemment) par rapport à une voiture de tourisme ou même une GT.

Ce comportement va être très variable selon le type de voiture de course considérée : une monoplace aura des réactions plus vives et bien moins d’inertie qu’une grosse GT. C’est aussi très sensible selon l’époque de la voiture en question : un proto des années soixante-dix va être beaucoup moins incisif en entrée de virage qu’une monoplace des années 2000 et ainsi de suite. D’ailleurs tous les comportements décrits dans cette section sont à modérer selon le type de voiture de course considérée, à vous d’en tenir compte…

Voilà un point clé et il est bon d’insister un peu dessus : le pilotage d’une voiture de course « ancienne » est très différent de celui des engins modernes…

Pour être tout à fait clair, avec une voiture « historique », rien ne sert de faire le « freinage de la mort » et d’arriver en vrac dans le virage, rater le point de corde et ne pas être en position de réaccélérer au bon moment et au bon endroit. Les quelques centièmes de secondes grignotés dans ce freinage limite se solderont par de gros dixièmes de secondes laissés sur place au moment de sortir du virage…
Au contraire, le pilotage des autos récentes est très agressif dans les phases d’entrée du virage (freinage et braquage) car la rigidité du châssis, l’appui aérodynamique et les progrès des pneus le permettent.

Pour prendre l’exemple d’une monoplace moderne (l’archétype de la voiture de course), dès que vous tournez le volant, la monoplace s’inscrit aussitôt dans la direction voulue et s’enroule autour de l’axe de lacet pour faire pivoter le train arrière ce qui va accentuer encore sa capacité à tourner dans le sens du virage (d’où le terme de « survirage » qu’on emploie pour désigner ce comportement). Si le survirage n’est pas excessif (et c’est le cas la plupart du temps car c’est là le comportement naturel d’une monoplace bien réglée), il suffit de débraquer le volant et d’accélérer progressivement pour s’extraire normalement et rapidement du virage que l’on vient d’entamer.

Si, au contraire, le survirage est important, il faut réagir rapidement en contre-braquant afin d’enrayer la tendance au pivotement et rester sur la trajectoire voulue. Dans le petit monde du pilotage, on fait toute une histoire autour de ce geste-là : le contre-braquage. Comme je viens de l’écrire, contre-braquer est nécessaire pour combattre la tendance au pivotement de l’engin autour de son axe de lacet et qui vient de la glissade du train arrière. Si on laisse faire ce pivotement sans réagir, ça finit toujours en tête-à-queue, d’où la nécessité de combattre cette tendance fatale en contre-braquant et le faisant à temps. Ce geste (tourner le volant rapidement dans le sens inverse du virage) permet de contrôler l’ampleur du pivotement et donc de limiter les effets de la glissade du train arrière. On parle alors de dérapage contrôlé. Contrôlé sans doute, mais pas efficace : le contre-braquage induit forcément un élargissement de la trajectoire, ce qui se traduit par un écart par rapport à la trajectoire idéale, donc un amoindrissement de la vitesse de passage en virage.

Disons-le tout net : ce n’est pas votre capacité à savoir contre-braquer qui fait de vous un bon pilote même si c’est ce geste précisément qui fait fantasmer tous ceux qui rêvent de pilotage sans pouvoir le pratiquer (on n’est quasiment jamais en situation d’avoir à le faire sur une route ouverte au volant d’une voiture de tourisme). Ceci dit, bien savoir contre-braquer n’est pas si simple car, dans tous les cas, il faut savoir doser l’ampleur et le timing de ce geste : pas assez et/ou trop tard et le pivotement continue jusqu’à la perte de contrôle, trop et/ou trop tôt et votre trajectoire s’élargit de façon exagérée (d’où une perte de temps importante) voire occasionne une perte de contrôle à travers le fameux « coup de raquette » où la voiture réagit avec violence dans l’autre sens…

Il y a autour du contre-braquage le même type de fascination que pour le « genou par terre » en moto et, comme tous, j’y ai été sensible. Tout cela pour dire que le geste de débraquer volontairement en sortie de virage est encore plus important que le contre-braquage bien que beaucoup moins connu.

Savoir débraquer (quand et comment appliquer ce geste) est important pour deux raisons déjà évoquées (mais je pense qu’il faut insister) :

En dehors des freins et du poids du véhicule, il y a deux choses qui s’opposent à l’avancement : la résistance de l’air et le braquage des roues directrices (les roues avant donc). La résistance de l’air, on ne peut rien y faire (du moins au niveau du pilotage) alors il faut éviter de braquer les roues plus que nécessaire.

À chaque fois qu’on tourne le volant, on impose des contraintes au châssis et celui-ci réagit soit en digérant l’énergie reçue, soit en évacuant cette énergie par une glissade. Dans les deux cas, on y perd. Si on veut retrouver la stabilité du châssis, il faut remettre les roues droites le plus tôt possible.

La plupart des pilotes vont débraquer naturellement, en accompagnant la trajectoire de leur engin qui s’élargit vers l’extérieur du virage. Ce n’est pas suffisant. En fait, dès le point de corde atteint, il faut s’efforcer de débraquer au plus tôt (à condition que la trajectoire suivie soit bonne… Sinon, on va simplement élargir trop tôt ce qui va obliger à couper les gaz et n’est pas du tout efficace !) de façon à remettre la voiture dans la meilleure situation pour passer la puissance au sol sans perte d’énergie. C’est ainsi qu’on sort rapidement des virages et qu’on gagne vraiment du temps. La vérité, c’est que débraquer est un geste « offensif » (permettant d’aller plus vite) alors que contre-braquer est seulement un geste « défensif » (permettant d’éviter de sortir de la piste)…

Sans oublier le freinage dégressif !

Même s’il vaut mieux soigner la sortie de virage que son entrée, la bonne maîtrise du freinage est forcément à considérer comme importante du fait de l’importance « tactique » du freinage : c’est le plus souvent lors des freinages que l’on double ses adversaires… Ou qu’on leur résiste !

L’amorce du freinage est un geste physique particulier parce qu’on y met toute sa puissance (et cet aspect physique du freinage est particulièrement prégnant dans le monde réel !). Mais, évidemment, on ne peut rester appuyé comme une brute sur la pédale de frein tout le long du freinage sous peine de bloquer ses roues et de tirer tout droit dans le bac à graviers (une roue bloquée n’a plus aucun pouvoir directeur). Il faut donc relâcher progressivement la pression sur la pédale lorsque l’on approche le point de blocage des roues (c’est ce que l’ABS réalise automatiquement pour vous). Tant que vous freinez en ligne droite, le blocage des roues intervient assez tard et vous pouvez donc conserver une grande pression sur la pédale de frein. Mais dès qu’on commence à braquer le volant, tout change… Pourquoi donc ?

Parce qu’on ne peut pas demander à la fois aux pneus leur adhérence maximale dans le sens longitudinal (direction de la contrainte sur chaque pneu lors de la phase de freinage, en ligne droite s’entend…) et en même temps en redemander pour le sens latéral (direction de la contrainte sur chaque pneu — en particulier les pneus du train avant — au moment où l’on inscrit la voiture dans le virage). À 100 %, c’est soit l’un ou soit l’autre. Si on veut exploiter le potentiel d’adhérence du pneu en virage, il ne faut pas que la demande venant du freinage « consomme » tout le grip disponible !

En revanche, si on dose convenablement, on peut aller très loin dans le freinage tout en conservant un bon pouvoir directeur au train avant… Donc, dès qu’on commence à toucher au volant, il faut aussi commencer à relâcher la pression sur les freins sinon, on en demande trop aux pneus qui vont se bloquer, forcément.

Pour éviter cela, on va mettre en pratique la technique du « fil volant/pied » : penser que notre pied droit (lorsqu’il freine), est relié par un fil au point bas du volant (6 h), et que braquer (tourner le volant) provoque immédiatement un freinage moins puissant car il soulève un peu le fil. L’action de braquage et le freinage sont en effet réalisés dans le même timing, pour un freinage et un virage idéal.

Le fait de réduire la puissance du freinage va aussi réduire — un peu — l’attitude « en piqué » (train avant enfoncé, train arrière délesté) du châssis et, ce faisant, réduire les risques de perte d’adhérence du train arrière au moment du braquage, un point important pour garder une voiture « maîtrisable »…

Démonstration évidente et principe facile à énoncer, mais le freinage dégressif est terriblement difficile à réussir quand vous freinez tard. Si vous freinez en prenant de la marge, alors, pas de problème, vous allez le réussir votre freinage dégressif car vous vous rendez vite compte que, si vous ne diminuez pas la puissance de freinage de votre voiture, vous allez vous retrouver à l’arrêt avant même le virage !

En revanche, en retardant votre freinage à la dernière extrémité, vous avez moins de temps pour vous ralentir ET vous arrivez plus vite sur le virage… Et c’est là que se révèle le caractère complètement antinaturel de la manœuvre !

En effet, on vous demande de freiner très fort puis de moins en moins alors que vous êtes toujours trop vite pour passer ce sacré virage qui vous saute à la figure. Difficile de faire accepter ça à votre mental en pleine panique qui lui est bien conscient de la survitesse et veut pallier d’abord à cela… Et c’est à ce moment que vous voulez lui suggérer de relâcher la pédale ?

C’est à cause de cette contradiction que j’affirme que le freinage dégressif est une manœuvre antinaturelle. Mais, même si c’est difficile, c’est quand même ce qu’il faut faire pour freiner tard et correctement. De plus, les voitures modernes sont capables de supporter de rester en phase de freinage assez loin dans le virage (quasiment jusqu’au point de corde pour les monoplaces) alors que cette pratique était interdite sur les voitures anciennes (en gros, toutes les voitures de course d’avant le milieu des années soixante-dix et c’est encore plus vrai pour les GT et les protos que pour les monoplaces) qui offraient bien moins d’adhérence. Donc, le pilotage « moderne » impose d’exploiter son freinage loin en profondeur et fait partie intégrante de la phase « entrée de virage ».

Et le talon/pointe ?

Puisqu’on en est à parler des gestes principaux du pilotage, difficile de ne pas évoquer le fameux (sacro-saint même pour certains !) talon/pointe. Là aussi, l’importance de ce geste diminue sur les voitures les plus récentes qui sont de plus en plus souvent équipées d’une boîte de vitesses robotisée qui automatise complètement ce geste délicat… Tout de même, de quoi s’agit-il ?

C’est une manœuvre qui consiste à donner un coup de gaz entre chaque vitesse au rétrogradage pour éviter que le régime moteur ne chute trop et que les roues arrières ne se bloquent au moment où vous rembrayez (souvent confondue avec le double débrayage qui lui n’est nécessaire que sur des boîtes de camion !). En effet, au moment du freinage, vous levez le pied de la pédale d’accélérateur et vous laissez donc chuter le régime moteur le temps que vous changiez de rapport (par exemple descendre de 4e en 3e). Vous avez besoin de votre pied droit pour appuyer sur la pédale de frein et du pied gauche pour enfoncer celle d’embrayage. Mais, au moment où vous relâchez l’embrayage, vous remettez en liaison l’arbre moteur avec les roues propulsives. Et, comme le régime moteur est tombé au plus bas, vous risquez de provoquer une situation où la différence de vitesse de rotation entre les roues et le moteur est trop importante pour être absorbé sans conséquence. En effet : même si vous exécutez le changement de vitesse très rapidement, le régime moteur n’attend pas que vous ayez fini votre manœuvre pour s’effondrer si vous lui coupez l’alimentation. En levant votre pied de l’accélérateur, le régime tombe d’autant plus vite que les moteurs de course ont très peu d’inertie (le volant moteur est allégé afin de diminuer son inertie et donc de favoriser les montées en régime…).

Cette différence entre le régime moteur et la vitesse de rotation effective des roues propulsives se traduit le plus souvent par un blocage des roues le temps que le moteur encaisse la différence et remonte en régime pour être en phase avec le rapport enclenché.

De plus, n’oublions pas que lors du freinage, le transfert de masse sur le train avant réduit l’adhérence du train arrière, ce qui accentue encore les risques de blocages de roues à ce niveau si le rétrogradage est mal exécuté…

Pour éviter ces blocages intempestifs qui arrivent au plus mauvais moment (nous sommes en plein freinage, ne l’oubliez pas !) les moniteurs des écoles de pilotage recommandent (que dis-je, exigent !) que vous donniez un petit coup de gaz juste avant de relâcher l’embrayage afin de remettre le moteur en régime et en phase avec le rapport que vous venez de rentrer. Oui, mais, comment fait-on pour donner ce coup de gaz puisqu’on a le pied droit occupé par la pédale de freins et qu’on ne va certainement pas la laisser pour passer, même brièvement, sur l’accélérateur ?

Bonne question, très bonne question, je vois avec plaisir que vous suivez !

Et bien, voilà pourquoi on appelle cette manœuvre le « talon/pointe » : alors que vous continuez d’appuyer sur la pédale de frein avec la pointe du pied droit, le talon lui pivote vers la droite et est ainsi capable de donner un bref appui sur la pédale d’accélérateur… Ben voyons, c’est si simple !

Rappelons que ce même pied droit doit déjà appuyer fortement sur la pédale de frein et voilà qu’on lui demande aussi, dans une contorsion délicate, de pratiquer des petites pressions sur la pédale d’à côté au même moment, mais avec un timing précis et bref. Essayez donc de faire deux choses à la fois avec le même membre tout en appliquant deux intensités différentes et vous m’en direz des nouvelles…

Surtout que, pour pouvoir appliquer une grande force avec la plante du pied, il faut que le talon soit bien calé, pas en train de survoler une autre pédale attendant le moment adéquat pour l’effleurer brièvement (et de façon répétée si vous rentrez plusieurs rapports… Oui, sinon ce n’est pas assez drôle !). On n’imagine pas au départ qu’un pilote doit aussi être un brillant contorsionniste, n’est-ce pas ?

Évidemment, le talon/pointe est — presque — impossible à exécuter tel quel. Comme d’habitude, la chose en question porte mal son nom car ce n’est pas avec le talon qu’on va donner le coup de gaz, mais avec la partie droite de la plante du pied… Explications :

On ne pose pas son pied droit en plein sur la pédale de frein, mais plutôt sur le bord droit de la pédale tout en rapprochant son genou droit de son genou gauche (comme si on voulait se retenir d’une envie pressante et malvenue !). Au moment où on veut donner le coup de gaz fatidique, on écarte simplement (et vivement) le genou droit vers le bord droit de la coque provoquant ainsi un pivotement du pied dont le bord va alors venir appuyer légèrement sur la pédale voisine, celles des gaz justement, C.Q.F.D.

On aborde là encore un autre domaine où les voitures de course diffèrent radicalement des voitures de série : la disposition des pédales. Dans une voiture de série, il y a un écart suffisant entre la pédale de frein et la pédale d’accélérateur afin d’éviter les fausses manœuvres. Mais, évidemment, cet écart rend encore plus difficile l’exécution de ce fameux talon/pointe. Sur les voitures à vocation sportive (comme les Porsche par exemple), c’est un peu différent dans la mesure où l’écart est moindre justement pour ne pas trop pénaliser cette manœuvre emblématique. C’est aussi à ça que les passionnés reconnaissent une vraie voiture de sport. Montre-moi ton pédalier et je te dirais si t’as une vraie sportive pour les purs ou simplement une caisse de frime…

Sur une vraie voiture de course, tout concourt à rendre aisé le talon pointe : les pédales sont très proches et comme la pédale de frein est très dure, elle ne va pas s’enfoncer trop sous l’effort et ainsi rester à peu près au même niveau que l’accélérateur (et éviter l’effet d’escalier qui corse encore la chose sur les voitures de série).

Les voitures équipées d’une boîte robotisée sont également dotées d’un calculateur couplé à l’injection du moteur qui va donner ce coup de gaz libérateur au rétrogradage (ça porte même un nom, c’est l’autoblip) et qui évite de devoir se compliquer la vie avec le talon/pointe. Vous pouvez ainsi consacrer toute votre concentration à rentrer les rapports au bon endroit et à bien doser votre freinage dégressif…

Un épisode qui résume tout

Pour finir cette longue digression sur le pilotage et ses différents gestes, je vous invite à revivre avec moi un épisode vécu fin 2000 à bord d’une Ferrari Modena Challenge (une vraie, lors d’un stage sur le circuit du Luc) qui résume bien l’importance de ce que l’on vient de voir : la primeur de la sortie de virage, le geste du débraquage, la difficulté du freinage dégressif et les multiples sensations qui vous submergent à bord d’une voiture de course !

C’est lors de cette course aux chronos que je me suis vraiment mis à attaquer avec la Modena et à travailler un de mes points faibles : la gestion des longs freinages. Car c’est une critique récurrente que me faisait le moniteur : pas assez dégressifs tes gros freinages, Lefebvre. Et le circuit du Luc disposait d’un endroit idéal pour mettre en pratique le freinage dégressif : un virage serré à 90° après une longue ligne droite qui se terminait par une descente. L’entrée du virage était bien droite, pas de difficulté parasite à cet endroit, il fallait simplement bien exécuter son freinage sans blocage afin de ne pas louper le point de corde qui était bien visible.

La seule réelle difficulté c’était que, pour aller vraiment vite, il fallait freiner le plus tard possible afin de rester à fond longtemps dans la ligne droite. On arrivait donc à fond de six pour passer en seconde en 150m et s’inscrire doucement et proprement dans ce virage à angle droit. C’était vraiment là que le freinage dégressif était indispensable car la moindre amorce de blocage des roues avant mettait aussitôt la voiture en sous-virage et alors, adieu le point de corde !

Ces quelques deux/trois secondes que durait cette séquence étaient vraiment paroxystiques : foncer à presque 250 km/h vers ce qui ressemble à une impasse et, au passage d’un repère bien précis, se jeter tout d’un coup sur les freins avec toute la puissance disponible dans votre jambe droite (même si le pied gauche était libéré de l’embrayage, je ne freinais pas du pied gauche comme on le fait en kart car ce n’est pas le même feeling). Rester arc-bouté sur les freins un long moment (en tout cas, c’est l’impression que cela donne, mais le freinage lui-même dure à peine deux secondes) tout en rentrant les rapports à coups de palettes. J’attaque une fois de plus cette séquence critique : le V8 de la Modena hurle comme jamais et le calculateur envoi les coups de gaz du rétrogradage à des régimes que je n’ai pas encore entendus jusque-là. Ce doit être une bonne indication de la violence de l’effort que je réclame à toute la machine.

Le moteur hurle, l’habitacle tremble et cette impasse se rapproche toujours aussi vite alors que j’ai déjà pénétré dans la zone de fin de freinage. C’est maintenant qu’il faudrait commencer à vraiment réduire la pression sur la pédale car l’ABS « couine » et se manifeste de plus en plus fort.

Les fois précédentes, c’est précisément à ce moment-là que j’ai loupé la manœuvre alors, pour une fois au moins, il faut que je me force à bien faire même si le désir de ralentissement est encore très fort. Il FAUT que je réduise la pression sur les freins… Maintenant !

Et, miraculeusement, comme une tempête qui s’évanouit après avoir mugi furieusement, la Modena se calme et accepte de s’inscrire sur la bonne trajectoire. Elle pivote vers le point de corde alors que les vibrations s’affaiblissent et que le moteur retrouve un régime normal. À peine ai-je frôlé le vibreur avec la roue intérieure que je peux lâcher complètement les freins et reprendre l’accélérateur afin de m’extraire de ce virage en coin et me relancer dans l’autre grande ligne droite. C’est fait, c’est gagné, j’ai enfin réussi un vrai bon freinage !

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