JET.COM et le plus gros pari du monde du e-commerce !

Après l’analyse du rachat de Dollar Shave Club par Unilever, Val nous propose aujourd’hui de revenir sur un autre rachat (qu’il avait prévu en plus !) : celui, tout récent, de Jet.com par Walmart…

Voici l’analyse de ce rachat, rédigée par Valentin Lefebvre et corrigée par Damien Lefebvre…

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La société jet.com s’est fait racheter pour $3,3 milliards par Walmart, environ douze mois après son lancement officiel !
Appeler cela une grosse affaire est un euphémisme.

Jet.com, c’est la boite qui explose tous les records, depuis sa création. Au total, la société a levé $565M en quatre cycles de financement auprès de dix-neuf des meilleurs investisseurs dans le monde (source: crunchbase.com).

Pour comprendre ce succès, il nous faut étudier M. Marc Lore, le fondateur de Jet.com : Marc Lore est un grand “pitchman” et il est certainement l’un des meilleurs du monde de l’e-commerce. En effet, avant de fonder Jet.com, il avait créé une société de négoce en ligne de cartes de sport “The Pit”, pour la vendre plus tard à Topps Co. pour $5,7 millions en 2001.

En 2005, M. Lore a monté sa deuxième société “Quidsi”: une entreprise de e-commerce qui détenait des sites comme diapers.com, soap.com, yoyo.com, wag.com et d’autres dans la catégorie de produits de soins. Marc Lore connaissait très bien son industrie et Quidsi a levé environ $60M auprès de grands venture capitalists. Les perspectives étaient très prometteuses jusqu’à ce qu’Amazon décide d’entrer dans le jeu et de déclarer une guerre des prix.

Cette bataille acharnée avec Amazon a dévasté les marques phares de Quidsi, en saignant la trésorerie et en brûlant les profits. Tant et si bien qu’en 2010, la société n’avait finalement plus d’autres options que de faire racheter par … son rival, Amazon pour $550M. Cela représente presque dix fois l’argent que la société a levé dans les tours de financements. Beau retour sur investissement pour une “vente forcé”.

Après avoir travaillé pendant deux ans chez Amazon, M. Lore a quitté la société de Seattle et a commencé à pitcher de nouveau auprès d’investisseurs. Cette fois, il était lancé pour battre le plus grand acteur du milieu : Amazon !

Appelez-le le plus grand pari dans l’histoire de l’e-commerce. M. Lore est certainement le seul homme au monde qui peut s’embarquer dans une telle quête avec une vision si ambitieuse. La société qu’il a fondée, Jet.com, a levé beaucoup d’argent dès le stade initial de l’idée. Inscrit comme le plus grand pari de l’histoire du e-commerce, et à juste titre, la nouvelle société de M. Lore a levé plus que $140M avant même d’être lancée !

Cela fait beaucoup d’argent pour un “démarrage” !

Mais le monde du e-commerce est spécial : pour que ça fonctionne, “vous devez avoir ou atteindre l’économie d’échelle”, selon Marc Lore. Dans le cas de Jet.com, nous parlons de milliards de dollars !

Avant le lancement de Jet.com en juillet 2015, M. Lore a déclaré au Wall Street Journal qu’il prévoyait que l’entreprise atteigne la rentabilité d’ici 2020 une fois qu’elle vendra pour $20 milliards de produits par an. Il a dit le business-modèle de Jet est “prouvé 100% viable à grande échelle.”

En effet, l’e-commerce a une très forte barrière à l’entrée : beaucoup de capital est nécessaire. Nous ne parlons pas ici de votre propre petite boutique en ligne fonctionnant sur Shopify (par exemple), on parle d’une réelle destination, d’un catalogue commercial gigantesque en ligne à grande échelle qui offre et expédie des millions de produits en un clin d’œil.

Pour cela, énormément d’argent est nécessaire pour ne serait-ce que construire le système qui fera fonctionner le tout. Donc, la construction d’un concurrent d’Amazon est pratiquement impossible, sauf si vous avez des montagnes d’argent et le meilleur expert du e-commerce à bord, dès le premier jour… Tout ce que Jet.com avait, dès le début.

Alors, la prophétie s’est-elle réalisée ?

En octobre 2015, trois mois après le lancement initial, le projet d’utiliser un modèle d’adhésion payant a été abandonné. Cela a été une grande nouvelle. En effet, ce modèle d’adhésion payant était le cœur de l’offre de Jet et même son positionnement/différenciateur sur le marché. Pour qu’une entreprise abandonne son offre de base/positionnement aussi vite que ça, cela signifie qu’il doit y avoir un gros problème quelque part. Probablement les chiffres…

Jet.com offrait gratuitement cette “adhésion économie magique” aux premiers clients pour attirer le trafic, les achats et les inscriptions; mais cela signifiait aussi qu’il n’y aurait pas de bénéfices dans ses activités. De fait, au-delà des dépenses de marketing (grandes publicités à la télévision), le site perdait de l’argent sur chaque commande.

Certains justifieront cette démarche en disant qu’ils sont là pour “conquérir le marché”, et donc de tout faire pour favoriser le momentum des ventes. D’ailleurs, Amazon (une bonne base de comparaison !) n’a pas été rentable jusqu’à très tard dans son existence. Pourtant, le dirigeant de Jet.com a bien vu qu’il ne pouvait pas soutenir longtemps cette stratégie avec la fameuse “adhésion économie magique”, et certainement pas gratuitement.

Au début 2016, Jet.com se repositionne avec un “algorithme de tarification en temps réel”, comme un magasin en ligne de tarification intelligente qui réduit le coût global votre panier au fur et à mesure de vos achats : “plus vous achetez, plus les prix baissent”. Pour que cela fonctionne, bien sûr (vous l’avez compris maintenant) : il faut atteindre des niveaux d’achats massifs pour que l’économie d’échelle s’enclenche.

Et c’est seulement grâce à une mise au point intelligente de la gestion des commandes à grande échelle et des expéditions que Jet.com peut espérer voir des profits au bout de la ligne. L’e-commerce est un business de gestion des commandes et d’optimisation des systèmes de livraisons.

D’un côté, le site Jet.com doit avoir une large sélection de produits qui sont effectivement recherchés par les clients, ce qui nécessite un accès gigantesque aux produits et de jouer à fond l’économie d’échelle pour acheter en gros. De l’autre côté, Jet.com doit avoir une logistique de livraison sophistiquée pour optimiser celle-ci à son maximum.

En mai 2016, Jet.com a fait son entrée dans le secteur de la livraison de produits frais, en concurrence directe avec AmazonFresh et Google Shopping Express. Cela dit, la livraison de produits frais est une activité à faible marge et, là encore, les rapports ont indiqué que Jet perdait de l’argent dans sa quête de détrôner Amazon. (source: WSJ)

Regardons quelques chiffres : avec la projection de réaliser $1 milliard de CA en 2016, Jet.com est un acteur de plus en plus prometteur dans le monde du e-commerce. En fait, c’est un véritable record : vendre pour $1 milliard de marchandises un an après le lancement est absolument hallucinant !

Bien sûr, la société a levé un montant de capital qui représente plus de la moitié de son chiffre d’affaires. Seulement deux ans après la création officielle de la société et douze mois après son lancement, générer autant d’argent est tout de même un record !

D’accord, il n’y a pas de profit, et Jet.com perd beaucoup d’argent depuis le début.
Mais bon, ne pas réaliser de profit et dépenser à perte rapidement, c’est un “classique” dans le monde des startups, n’est-ce pas ?
De plus, il s’agit là d’e-commerce, un monde où les profits ne sont pas visibles avant un très long moment et seulement à grande échelle, bien entendu (pensez Alibaba et Amazon).

Pour comparaison, la division e-commerce de Walmart générait $14 milliards de CA en 2015. Cela peut paraitre impressionnant mais il se trouve que ce n’est pas beaucoup pour ce géant de la distribution. Cette société a une ancienneté de plus de 50 ans, possède une marque célèbre, et un avantage déterminant : des économies d’échelles sur les produits et la distribution… Pourtant, mêmes avec autant d’atouts,  Walmart.com génère 11 fois moins de CA que Amazon (+ $160 milliards). La division en ligne de Walmart n’est pas l’étoile montante de leur entreprise ni même leur priorité.

Nous avons ici un scénario classique  “du dilemme de l’innovateur”, de sorte que la “vache à lait” de Walmart reste ses magasins physiques, ils fonctionnent très bien depuis la bonne moitié du siècle dernier, alors que la division des ventes en ligne est arrivée en retard sur ce marché (par rapport aux pionniers du domaine) tout en n’étant ni aussi agressive ni aussi efficace qu’Amazon.

Acquérir jet.com, l’étoile montante du e-commerce, avec en prime l’un des plus grands et meilleurs du secteur pour “seulement” $3,3 milliards apparait alors comme une décision totalement logique !

Voici un raisonnement tout simple : combiner M. Lore, l’homme le plus compétent et le plus féroce du e-commerce, à la tête des opérations en ligne de Walmart, avec l’avantage des économies d’échelle déjà présentes sur les produits et la distribution. Avec cela, Walmart sera enfin dans une excellente position pour vraiment gagner des parts de marché sur le commerce en ligne.

Chronologie des événements pour Jet.com :

  • Juillet 2014: levée de $55M.
  • Septembre 2014: levée de $25M.
  • Février 2015: levée de $140M.
  • Novembre 2015: levée de $350M à une valorisation de $1,35 milliard.

Le montant total des fonds levé en deux ans est de $570M et la société s’est fait racheter pour $3,3 milliards. Cela représente presque un retour de x6 en seulement deux ans !

En conclusion, il y a trois points à retenir ici :

  1. Walmart n’avait en fait pas d’autre option que de procéder à cette acquisition intelligente qui n’est même pas trop chère lorsque vous prenez la peine de regarder les chiffres du e-commerce.
  2. L’affrontement entre Marc Lore et Jeff Bezos est toujours d’actualité. Jeff Bezos, leader d’Amazon est lui aussi absolument féroce et très efficace, introduisant toujours plus d’innovations, de sorte que ce secteur devient de plus en plus compétitif et passionnant à suivre !
  3. Enfin, les grands gagnants dans cette histoire sont les investisseurs en capital-risque; une fois de plus, comme sur l’histoire précédente de l’acquisition de Dollar Shave Club par Unilever. En effet, le rachat a vu l’encaissement d’un gros chèque seulement 2 ans après le financement du démarrage. C’est plus qu’impressionnant.
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