Le metavers ? Pas si vite !

L’enthousiasme dont font preuve les différents médias suite aux annonces de Facebook sur le Metaverse (en ce moment, ils en parlent tous, y compris France Inter !) sont une démonstration supplémentaire, s’il en était besoin, qu’on ne sait pas mesurer la distance qui existe entre les annonces et la réalisation.

https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/la-question-du-jour-du-lundi-30-aout-2021

Crédits : Rebecca Nelson – Getty

Ce n’est pas parce que Facebook a fait cette annonce (peu détaillée et très incomplète) que nous allons tous nous retrouver dans un monde virtuel façon “Ready Player One” (un très mauvais film, soit dit en passant…) !

Avec mon éminent collègue Frédéric Cavazza, nous voulons réagir à ce débordement. Voici un court résumé de ce que veut dire Fred sur le sujet :

– nous n’aurons à priori pas de métavers tel que décrit dans la littérature, car nous avons aujourd’hui accès à des versions dégradées (ex : Fortnite, Roblox, Pokemon Go…) dont le grand public se contente,

– il n’y aura pas un métavers universel (comme l’est le web), mais de nombreux univers virtuels opérés par des sociétés privées (ex : Facebook Horizon) qui proposent une expérience bcp plus simple d’accès et ludique,

– Il y a déjà des milliards d’utilisateurs qui “vivent” dans des environnements virtuels peuplés d’avatars (Facebook, Instagram…).

Le lien vers l’article de Fred “Quels enjeux pour le métavers”

Bien, à mon tour maintenant !

Quarante ans pour avoir un début de concrétisation !

Il faut se rappeler que pour commencer la réalité virtuelle a mis beaucoup de temps à passer du labo à un début de commercialisation. On attribue généralement à Jaron Lanier les début historique de la réalité virtuelle (autour de 1985 mais, le tout premier casque de réalité virtuelle est créé à l’Université de l’Utah dans les années 1970 par Daniel Vickers (source https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9alit%C3%A9_virtuelle#Historique). Donc, ça fait maintenant un bon moment qu’on tourne autour de cette notion… Plus de quarante ans pour passer des toutes premières expérimentations au stade que l’on connaît actuellement (commercialisation et diffusion significative mais pas encore la maturité et la banalisation qui marque vraiment la fin d’un cycle pour une innovation).

Le délai de maturité, thème central de mon ouvrage “Le fait technique”

Je viens justement de publier un nouveau livre (Le fait technique – L’évolution technique est mal connue et mal comprise) où j’expose que les innovations demandent un temps long (jamais moins de dix ans et souvent trente ans voire plus pour certaines !) pour arriver à maturité. Or, le bruit fait par les médias n’aide pas à cette compréhension de ces phénomènes. Annoncer l’avènement du métavers sans préciser qu’il faudra encore patienter de nombreuses années avant d’avoir un début de concrétisation est contre productif au mieux, malhonnête au pire.

Les spécificités de l’usage de la réalité virtuelle

Ceux qui s’imaginent qu’on va porter un masque toute la journée pour faire des réunions virtuelles n’ont apparemment absolument aucune expérience concrète de l’utilisation de ces masques. Pour ma part j’ai déjà un Oculus Quest un HP Reverb G2 et je peux dire que je n’arrive pas à dépasser 40 minutes lors de mes sessions en réalité virtuelle. Pourquoi une telle limite ?

Tout simplement parce que ces masques sont encore lourds, on a vite chaud dessous et la définition n’est pas encore assez bonne pour que la visualisation soit confortable au-delà d’une certaine durée. De nombreux progrès sont encore nécessaires dans ces dispositifs avant que l’usage confortable et longue durée (plusieurs heures) soit envisageable. De plus, la réalité virtuelle “pure” est assez contraignante : se retrouver privé de voir son environnement habituel est une limite pratique sur laquelle on bute assez vite. Il est probable que la bonne version du premier métavers opérationnel soit plutôt basé sur la réalité augmentée (où la visualisation “virtuelle” se superpose à votre environnement habituel). Mais, là aussi, les dispositifs actuels sont loin de faire l’affaire et le chemin vers la maturité promet d’être encore assez long.

Et les contenus ?

Imaginons que les appareils soient enfin au point et performants, ce n’est là qu’une partie du challenge à relever pour plonger dans un métavers complet et opérationnel… En effet, se pose la question des contenus qui, eux aussi, vont être longs et coûteux à mettre en place. Pour le moment, on a surtout des jeux plus ou moins réussis à se mettre sous la manette et on constate surtout qu’une simple adaptation des titres existants est tout à fait insuffisante. En matière de réalité virtuelle, la seule manière de bien faire, c’est de faire quelque chose de dédié et ce depuis le début. C’est la leçon maintes fois répétée des succès et des échecs dans ce domaine. Donc, là aussi, tout cela va prendre du temps et demander beaucoup d’essais-erreurs avant de trouver la bonne forme et le bon fond.

Ceci dit, n’allez pas croire que je suis sceptique vis-à-vis de l’avenir de la simulation… J’y crois au contraire dur comme fer comme on va le voir ci-dessous :

La simulation, technique d’avenir, ô combien !

L’anticipation, sous-domaine de la science-fiction, joue son rôle quand elle permet de prévoir ce qui va nous arriver dans le futur. Dans le cas qui nous occupe ici, la question est centrée sur les applications de la simulation et leurs conséquences. Tout d’abord, il n’y a guère de doute que la simulation sera mise en œuvre.

Déjà, du côté scientifique, il y a beaucoup de justifications à le faire : pour modéliser les phénomènes naturels (tels que le climat et ainsi être en mesure de mieux prévoir son évolution ainsi que la météo à court terme) mais aussi et surtout pour modéliser les phénomènes sociaux (avec la nécessité de simuler les personnes jusqu’au niveau individuel le plus fin).

Aujourd’hui, de nombreux phénomènes sociaux sont considérés comme chaotiques, principalement par ignorance. Une fois simulés correctement, on pourra les étudier sous tous les angles et comprendre enfin la dynamique de chacun (si vous voulez optimiser l’évacuation d’un grand bâtiment, il vous faut connaître à l’avance le comportement de la foule lors d’un mouvement de panique…).

Mais le domaine scientifique « pur » va être un champ d’application minoritaire de la simulation (contrairement à ce qui sera mis en avant pour justifier de la mettre en œuvre). Le domaine économique sera bien plus prolifique dans son utilisation des « simulis » !

Le domaine de la publicité, par exemple, sera un grand consommateur de situations simulées afin d’optimiser le message, le plan média, la fréquence de diffusion et ainsi de suite. On imagine bien que les politiciens, comme les publicitaires, vont également se jeter sur cet outil pour ajuster leurs discours en fonction de leurs cibles.

Tout cela paraît évident une fois exposé correctement. Mais c’est dans le domaine de la “distraction” que le secteur économique va le plus avoir recours à la simulation, hé oui. En effet, regardez le succès actuel des différentes déclinaisons de ce qu’on appelle encore “les jeux vidéo” (voir à http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_vidéo). Il suffit de regarder les chiffres pour se convaincre de l’importance croissante de ce secteur : l’industrie vidéoludique (c’est comme ça qu’on l’appelle selon Wikipédia…) génère actuellement un revenu plus important que celui du cinéma et ceci depuis 1997. En 2007, le revenu global approchait les 40 milliards de dollars. En 2012, le chiffre d’affaires mondial de l’industrie atteint 60 milliards de dollars selon le SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo). L’industrie vidéoludique serait ainsi la première industrie culturelle dans le monde. Le jeu le plus coûteux de l’histoire (fin 2013), GTA V, a coûté 270 millions de dollars (moitié production, moitié marketing) soit l’ordre de grandeur d’un blockbuster hollywoodien.

Donc, on a un moyen médiocre (pour dire le mieux) de se projeter dans un univers plus ou moins bien simulé (là encore, on reste gentil) et ça marche du tonnerre : des millions de gens (et pas que des jeunes) y passent un temps de plus en plus important tout en y dépensant une somme d’argent pas ridicule. Que se passera-t-il le jour où on pourra proposer une alternative autrement convaincante ?

Oui, vous m’avez bien compris, j’en reviens encore à la simulation, la vraie. Le jour où on pourra vous proposer une plongée en immersion totale dans les univers simulés (spécialisés au début, généralistes ensuite), vous allez voir que l’offre va faire recette immédiatement (et ça sera le cas de le dire : les succès financiers des jeux vidéo actuels paraitront bien pâles en comparaison !). Les gens vont se ruer vers ce nouveau “loisir” et les cas d’addiction vont se multiplier jusqu’à atteindre un seuil alarmant : le nombre d’individus qui vont préférer vivre une vie “plus ou moins scriptée” (en fonction de leurs préférences) dans les univers simulés va être surprenant. Tout du moins, ça sera surprenant à nos yeux d’aujourd’hui alors que ça paraîtra banal quand ça sera possible. De la même façon qu’un honnête homme du XIXe siècle serait étonné de voir quelle est l’étendue actuelle de la consommation des substances addictives (y compris le sucre, les cigarettes, les médicaments, en plus des substances illégales comme les drogues dures).

Il n’est donc pas impossible (pour ne pas dire qu’il est probable) que l’usage des simulis soit le prochain grand problème de société à l’avenir. Voire même fera naître une autre catégorie de population : ceux qui vivent principalement en immersion (dans les simulis donc) et très peu (voire le moins possible) en dehors.

Bien entendu, cette situation ne va pas arriver du jour au lendemain. Tout d’abord, la mise au point de la “simulation totale” va prendre un certain temps (mais sans doute sera-t-elle là avant la singularité technologique qui reste un horizon hypothétique alors que la simulation totale est une perspective quasi certaine). Ensuite, les techniques d’immersion resteront compliquées et coûteuses pendant une période plus ou moins longue et, clairement, le transfert synaptique (si on continue à l’appeler ainsi) ne sera pas à la disposition de tout un chacun avant des décennies. Cependant, cela va finir par arriver et quand ça sera là, les digues vont céder et les masses vont s’y précipiter. Qui restera-t-il “à la surface” ?

Les deux extrémités, comme d’habitude : les plus pauvres qui n’auront pas les moyens de se payer une immersion (même brève) et les plus riches qui préféreront regarder tout cela de haut, tout en tirant les ficelles pour les plus malins d’entre eux.

L’avènement de la simulation aura quelques conséquences inattendues : disparation de la prostitution (tout du moins dans les pays riches, elle sera toujours effective dans les pays pauvres) et disparition des compétitions sportives. Ces disparitions seront limitées à leurs expressions physiques dans le monde “réel”, car, bien sûr, compétitions et prostitution seront plus que jamais à la mode dans les simulis…

Pas besoin d’expliquer pourquoi la prostitution va être florissante dans les mondes virtuels, penchons-nous sur les raisons concernant les compétitions : facilités d’organisation, plus grande liberté des règles, diffusion “télévisée” à l’identique, réduction du danger et de ses conséquences, etc.

Encore que, pour ce dernier point, rien n’est moins sûr. On ignore encore (et pour cause !) quels seront les effets secondaires (ou encore, les effets réels, tout simplement) que pourraient avoir une blessure ou un traumatisme sur mon corps réel lorsque ces dommages arriveront à mon “avatar” en immersion… Peut-on vraiment séparer le corps de l’esprit ?

Voilà le type de « découvertes » que nous allons faire avec l’avènement de la simulation totale. Accrochez-vous, ça va secouer, car, comme disent les Anglais “there is always a surprise!” (il y a toujours une surprise).

PS) on constate que les simulis commencent à être mis en place par les industriels. Les motoristes de l’aviation civile simulent le fonctionnement des moteurs équipant les flottes des compagnies aériennes en les alimentant avec les données réelles venant des vrais moteurs qui volent tous les jours.

Le but est de prévenir les pannes, d’anticiper les opérations de maintenance. Mais il est clair que, à l’avenir, ces simulations très techniques auront tout intérêt à être reliées à d’autres dans les domaines voisins : la météo afin de pouvoir y ajouter les données d’environnement et ainsi de suite. Une fois qu’on a cette image en tête, il est assez facile de se projeter dans la suite.

Et ce n’est que le début…

En conclusion…

Bien entendu, on peut imaginer que, à terme, on ait effectivement quelque chose qui ressemble à un Metaverse qu’il soit proposée par Facebook ou un autre ou encore une alliance de différents acteurs. Ce serait effectivement conforme à une certaine logique d’évolution. mais en revanche, il est très difficile de dire quand cela arrivera et quand cela aura un succès de masse. En effet, il est toujours plus facile de dire le quoi que de dire le quand.

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