Gordon Moore vient de mourrir. Ce type était un géant, tout simplement !
Co-fondateur d’Intel (déjà, hein…), il est aussi à l’origine de la fameuse “loi de Moore” qui a eu une importance primordiale dans le développement de l’informatique moderne.
Pour évoquer Gordon et sa loi, je vous propose ici un extrait de mon dernier livre “La crise de l’IT des années 2020 et comment s’en sortir“.
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La loi de Moore a été exprimée pour la première fois en 1965 dans le magazine Electronics par Gordon E. Moore, alors ingénieur de Fairchild Semiconductor (Moore allait ensuite devenir un des trois fondateurs d’Intel). Constatant que la “complexité des semi-conducteurs proposés en entrée de gamme” doublait tous les ans à coût constant depuis 1959, date de leur invention, il postulait la poursuite de cette croissance (en 1965, le circuit le plus performant comportait 64 transistors). Cette augmentation exponentielle fut rapidement nommée “loi de Moore” ou, compte tenu de l’ajustement ultérieur, “première loi de Moore”. En 1975, Moore réévalua sa prédiction en posant que le nombre de transistors des microprocesseurs (et non plus de simples circuits intégrés moins complexes) sur une puce de silicium double tous les deux ans. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une loi physique, mais seulement d’une extrapolation empirique, cette prédiction s’est révélée étonnamment exacte. Entre 1971 et 2001, la densité des transistors a doublé chaque 1,96 année. En conséquence, les machines électroniques sont devenues de plus en plus petites et de moins en moins coûteuses tout en devenant de plus en plus rapides et puissantes (extraits issus de Loi de Moore sur Wikipédia).
On le voit, l’énoncé de la “loi” ne comporte pas de mention sur la puissance ou sur la vitesse des composants, mais seulement sur la densité des transistors qu’on peut rassembler au sein d’un microprocesseur. L’augmentation de la vitesse et/ou de la puissance n’est qu’une conséquence de l’augmentation de la densité.
Une explication lumineuse par Gordon Moore lui-même : Si vous examinez la vitesse des processeurs des années 1970 à 2009, puis à nouveau en 2010, on pourrait penser que la loi a atteint sa limite ou s’approche de la limite. Dans les années 1970, les vitesses de traitement allaient de 740 kHz à 8 MHz (remarquez que le 740 est le kHz, ce qui correspond au kilo hertz, tandis que le 8 correspond au mégahertz). Entre 2000 et 2009, la différence de vitesse n’a pas vraiment évolué, les vitesses allant de 1,3 GHz à 2,8 GHz, ce qui suggère que les vitesses ont à peine doublé en 10 ans. C’est parce que nous examinons les vitesses et non le nombre de transistors. En 2000, le nombre de transistors dans les CPU s’élevait à environ 37,5 millions, tandis qu’en 2009, le nombre de transistors atteignait 904 millions ; c’est pourquoi il est plus juste d’appliquer la loi aux transistors qu’à la vitesse.
La fin annoncée par Gordon Moore lui-même
Lors de l’Intel Developer Forum de septembre 2007, Gordon Moore a prédit que sa loi de doublement du nombre de transistors dans une puce tous les deux ans ne serait plus valide dans dix à quinze ans (on y est !). En effet, l’industrie approche de plus en plus des limites physiques de la microélectronique, où les transistors ne seront plus constitués que de quelques atomes et l’isolant entre eux.
En février 2016, la confirmation tombe : la fin de la loi de Moore est annoncée par l’International Technology Roadmap for Semiconductors (ITRS) qui entérine officiellement l’abandon de cette loi, le rythme n’étant tout simplement plus tenable.
Cela faisait déjà quelques années que la cadence ralentissait. À force de graver des composants électroniques toujours plus fins, année après année, passant du micro au nano, de l’échelle du cheveu à celle des bactéries, l’industrie de la microélectronique a fini par atteindre l’atome (en 50 ans, les transistors ont vu leur taille divisée par 2 000…).
En effet, pour que la densité du transistor augmente, la taille des transistors doit diminuer. Étant donné qu’il existe une limite à la taille des transistors, l’applicabilité de la loi de Moore est limitée. De plus, la loi de Moore étant une loi exponentielle, les nombres se multiplient rapidement et nous pourrions donc atteindre la limite physique assez soudainement.
En 2018, seuls trois industriels au monde étaient encore en lice pour graver des composants électroniques de 7 nm (nanomètres) : Intel, Samsung et TSMC, le fournisseur taïwanais d’Apple.
Plus difficile, mais aussi plus cher !
Il devenait de plus en plus difficile de fabriquer des transistors de plus en plus petits. Pendant des années, l’industrie des puces a réussi à contourner ces obstacles physiques. Mais le progrès est devenu de plus en plus coûteux. Les économistes de Stanford et du MIT ont calculé que l’effort de recherche visant à faire respecter la loi de Moore a été multiplié par 18 depuis 1971.
Ceci est confirmé par une autre loi empirique de la Silicon Valley, la loi de Rock, stipule ainsi que le coût de fabrication d’une fonderie de puce double tous les quatre ans, car le procédé de fabrication utilisé depuis une quarantaine d’années, la photolithographie, se rapproche toujours plus de ses limites physiques.
Du coup, les laboratoires qui fabriquent les puces les plus avancées deviennent hors de prix. Le coût d’une usine augmente d’au moins 13 % par an et attendra 16 milliards de dollars ou plus d’ici 2022. Ici, on touche du doigt les effets de la loi des retours décroissants.
Le débat fait encore rage
OK, ces éléments semblent être convaincants pourtant, le débat fait encore rage : entre Nvidia qui confirme que la loi de Moore ne se vérifie plus et Intel qui prétend qu’elle est toujours valable tout en admettant un fort ralentissement, qui faut-il croire ?
Début 2019, le PDG du grand fabricant de puces Nvidia a donné son avis sur la question… « La loi de Moore avait l’habitude de croître à x10 tous les cinq ans et x100 tous les 10 ans », a expliqué Jensen Huang, PDG de Nvidia. « En ce moment, la loi de Moore augmente de quelques pour cent chaque année. Peut-être x2 seulement tous les 10 ans. La loi de Moore est donc terminée », a-t-il conclu. On peut donc dire qu’il s’agissait plus d’un déclin progressif que d’une mort subite.
Pourtant, si on prend la définition de cette “loi” au pied de la lettre, un fort ralentissement équivaut à ce qu’elle soit effectivement caduque puisque la loi de Moore est basée sur un rythme précis de progrès techniques (100% tous les deux ans). Ensuite, le fait que TSMC et Intel soient passés en dessous de 10nm nous rapproche inéluctablement d’un mur infranchissable… Allez-vous encore prétendre que la loi de Moore va toujours se vérifier quand on en sera à 1 ou 2 nm ?
Le mur est là
Non, évidemment. On réalise que les limites physiques vont s’imposer et que “le mur” va imposer une halte durable à cette façon de progresser. Certes, une nouvelle voie est en train de s’ouvrir en matière de densification des composants en passant en 3D (en les empilant les uns sur les autres) plutôt que de se contenter de les aligner les uns à côté des autres… Mais cette nouvelle technique va réclamer du temps pour parfaire sa mise au point et permettre la production en volume. Comparaison n’est pas raison, dit-on, mais si on se penche sur les promesses des nanotubes de carbone, on réalise que, depuis 2005 jusqu’à aujourd’hui, on n’est toujours pas capables de produire ce nouveau matériau en volume à des coûts acceptables… ça fait réfléchir !
Donc, il ne faut sans doute pas trop attendre que la production en 3D des composants électroniques permette de relancer la loi de Moore comme par magie…
Quelles vont être les conséquences de la fin de la loi de Moore ?
Premièrement, même s’il ne faut plus compter sur les bénéfices “automatiques” de cette loi, ça ne veut pas dire pour autant que tous les progrès techniques vont s’interrompre. En effet, une fois que les industriels vont avoir digéré cette fin, la recherche va reprendre et dans d’autres directions tel que l’empilement des transistors en trois dimensions. Certains constructeurs comme ARM introduisent des processeurs ne cherchant plus à suivre la loi de Moore. Ses processeurs de 2009 possèdent parfois 100 000 transistors, soit moins qu’un processeur Intel 286 à 12 MHz de 1982 (!), mais ne consomment qu’un quart de watt (c’est important). On a donc déjà quelques indications qui permettent de penser que les progrès vont reprendre, mais peut-être pas au rythme auquel nous avait habitué la loi de Moore.