Crypto : de la bulle spéculative à la bulle d’illusions !

Source image https://www.courrierinternational.com/article/finance-le-bitcoin-une-illusion-dangereuse

Si vous suivez l’actualité des cryptomonnaies en ce moment, vous avez pu constater une curieuse distorsion de la réalité : alors que nous sommes entrés dans une phase qu’on peut qualifier “d’hiver de la crypto” où ce domaine va enfin sortir (mais pas sans dégâts) de sa spirale spéculative pour aller vers une grosse correction (dans tous les sens du terme !), on voit encore passer des titres d’articles du genre “le web3 est une trop belle opportunité pour la laisser passer…”. Je dois dire que ce genre de titre m’irritait déjà il y a six mois mais aujourd’hui, comment est-il encore possible d’écrire cela ?

Je me dis que, forcément, l’auteur de l’article ne vit pas dans le même monde que moi, qu’il n’a pas accès aux mêmes sources ou alors, qu’il est prisonnier d’une boucle temporelle qui lui impose six mois de retard par rapport à nous… ça ne peut être que cela, non ?

Ce n’est pas moi qui ait inventé l’expression “crypto winter” (https://cryptoweek.fr/crypto-winter-2022-quand-bitcoin-sera-t-il-en-bas), les pros du domaine sont déjà capables d’en identifier plusieurs (hiver) et de dire fièrement “celui-là est moins terrible qu’en 2017”…

Récapitulatif d’une descente aux enfers…

Pour comprendre l’écart entre la situation actuelle et les illusions du dernier carré des fans de crypto, il faut revenir (brièvement) sur les épisodes précédents (voir aussi https://www.linkedin.com/pulse/comment-dispara%C3%AEt-une-mode-technique-web3-et-cest-dans-lefebvre/), accrochez-vous, ça va secouer !

  • Le 13 février 2022, quatre agences de cryptographie ont acheté des publicités du Super Bowl : Coinbase, FTX, eToro et Crypto.com. Coinbase est devenue l’une des applications les plus téléchargées après la diffusion de leur publicité. On peut dire que c’est l’instant précis du sommet qui précède le déclin…
  • Le 4 avril, Bitmex est devenue la première agence de cryptographie à annoncer des licenciements, licenciant 25 % de ses employés.
  • Le 3 mai, la Réserve fédérale a relevé les taux d’intérêt de 0,5 %, déclenchant une large liquidation sur le marché. En huit jours, Bitcoin a chuté de 27% à un peu plus de 29 000 dollars et Ether a chuté de 33,5% à environ 1 960 dollars. Le NASDAQ a chuté de 12,5 % au cours des cinq jours suivant l’annonce.
  • Le 9 mai 2022, les jetons Luna ont fait la une des journaux après que l’UST a commencé à casser son ancrage au dollar américain. Au cours de la semaine suivante, le prix de l’UST a plongé à 10 cents, tandis que Luna est tombé à “pratiquement zéro”, contre un sommet historique de 119,51 $. Avant le crash, Luna était l’une des dix plus grandes cryptomonnaies du marché. L’effondrement a anéanti près de 45 milliards de dollars de capitalisation boursière en une semaine.
  • Le 10 mai, Coinbase, avec des actions en baisse de près de 80 % par rapport à leur sommet, a annoncé qu’en cas de faillite, les gens perdraient leurs fonds. Le PDG a annoncé plus tard qu’ils ne couraient aucun risque de faillite.
  • Le 13 mai, Terraform Labs a temporairement interrompu la blockchain Terra en réponse à la baisse des prix de l’UST et de la Luna. Malgré les tentatives de la société pour stabiliser UST et Luna via ses réserves de bitcoins et d’autres crypto-monnaies de la Luna Foundation Guard, l’arrimage 1:1 de l’UST à l’USD ne s’est pas matérialisé. Au 16 mai 2022, les analystes de la blockchain affirment que l’utilisation des réserves de bitcoins de LFG reste encore largement incertaine.
  • Le 12 juin, Celsius Network, un échange cryptographique, a annoncé l’arrêt de tous les retraits et transferts. Le Bitcoin a chuté de 15% le lendemain à près de 22 500 dollars et Ether est tombé à 1 200 dollars. Une vague de licenciements d’autres agences de cryptographie a accompagné cela, notamment de Crypto.com et Coinbase.
  • Le 13 juin 2022, le stablecoin algorithmique de Tron, USDD, a perdu son ancrage au dollar américain.
  • Le 17 juin, Bitcoin est tombé en dessous de 20 000 dollars pour la première fois depuis décembre 2020 et Ether est tombé en dessous de 1 000 dollars pour la première fois depuis janvier 2021.
  • Le 17 juin, Babel Finance, un prêteur crypto basé à Hong Kong, a gelé les retraits.
  • Le 23 juin, CoinFlex a suspendu les retraits après qu’une contrepartie, qu’elle a nommée plus tard Roger Ver, a rencontré des problèmes de liquidité et n’a pas remboursé un appel de marge stable de 47 millions de dollars.
  • Le 27 juin, Three Arrows Capital, un fonds spéculatif de cryptomonnaies, a fait défaut sur un prêt de 670 millions de dollars de Voyager Digital, un courtier en cryptomonnaies.
  • Le 30 juin, FTX a annoncé qu’elle pourrait acquérir BlockFi, une entreprise de cryptographie qui avait licencié 20 % de son personnel.
  • À la fin du mois de juin, de nombreuses agences de cryptographie ont commencé à repenser leurs dépenses alors que leurs fonds commençaient à diminuer.
  • Le 2 juillet, Three Arrows Capital a déclaré faillite.
  • Le 4 juillet, Vauld, un prêteur de crypto basé à Singapour soutenu par Coinbase et Peter Thiel, a interrompu les retraits et les échanges sur sa plateforme.
  • Le 5 juillet, eToro a mis fin à son accord de société d’acquisition à vocation spéciale (SPAC) et a licencié 6 % de ses effectifs.
  • Le 5 juillet, le courtier en cryptographie Voyager Digital a déposé son bilan en vertu du chapitre 11.
  • Le 6 juillet, Genesis Trading a révélé qu’elle avait été exposée dans la faillite de Three Arrows Capital.
  • Le 8 juillet, Blockchain.com a annoncé à ses actionnaires qu’elle faisait face à une perte potentielle de 270 millions de dollars sur les prêts accordés à Three Arrows Capital.
  • Le 11 juillet, il a été annoncé que les mineurs de crypto au Texas avaient temporairement fermé leurs portes car une vague de chaleur intense a mis à rude épreuve le réseau énergétique.
  • Le 11 juillet, le Conseil de stabilité financière (FSB) a déclaré que la crypto “doit faire l’objet d’une réglementation et d’une surveillance efficaces proportionnelles aux risques qu’elles posent”.
  • Le 12 juillet, un dossier déposé auprès du tribunal américain des faillites du sud de New York par des avocats représentant les créanciers de Three Arrows Capital a déclaré que la localisation actuelle des fondateurs de la société était inconnue.
  • Le 14 juillet, Celcius Network a déclaré faillite.
  • Le 19 juillet, SkyBridge Capital a gelé les retraits.
  • Le 20 juillet, Vauld a déposé une demande de protection contre les créanciers, l’équivalent de la faillite aux États-Unis.
  • Le 20 juillet, Zipmex, une bourse d’Asie du Sud-Est, a gelé les retraits.
  • Le 25 juillet, Coinbase a fait l’objet d’une enquête de la SEC pour avoir potentiellement menti à ses clients. Cela a entraîné une baisse de 21 % de leur stock le lendemain.
  • En juillet 2022, Bitcoin et Ether étaient en baisse de plus de 60 % par rapport à leur pic.

Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Cryptocurrency_bubble#2020%E2%80%932021_boom_and_2021%E2%80%932022_crash

Vous avez tout lu ? Bravo !

Vers le bain de sang !

Bon, que le Bitcoin ou l’Ether (l’Ether est le nom du coin qui est basée sur la blockchain Ethereum) connaissent des variations de leurs cours, rien de plus normal : ce sont les éléments principaux de cette bulle spéculative, c’est donc dans l’ordre des choses. Que des start-up spécialisées fassent faillite à cause de ces variations, c’est tout à fait normal également. Mais que des plateformes “d’échanges” gèlent les transactions et empêchent les retraits des clients, voilà qui est déjà plus significatif, non ?

Cela prouve tout simplement et sans aucune ambiguïté que les acteurs de ce “marché” sont entrés en mode “panique” : le sauve qui peut général est décrété et personne de sérieux dans le milieu croit que la phase finale du crash puisse encore être évitée.

Ces derniers mois, nous avons franchi successivement les paliers de -20% puis -50% (les paliers habituels quand une bulle spéculative est en train d’exploser… ce qui peut prendre des mois, voir les bulles précédentes…), reste le dernier, à -80% qui lui est vraiment synonyme de “bain de sang”. 

Les baleines sont pressées

Le franchissement de ce palier est prévu entre septembre et octobre de cette année et les “baleines” (c’est ainsi que l’on surnomme les gros détenteurs de crypto… ceux qui, depuis le début, manipulent le marché à leur seul profit) savent que le compteur tourne et qu’il faut sortir du marché (vendre leur crypto) maintenant !

C’est pour cela que la propagande évoque des rebonds et des hivers finalement pas si terribles : il faut entretenir l’illusion que cette crise n’est pas si grave et que le meilleur est encore à venir. Le dernier chapitre du battage médiatique met un fort accent sur les cycles, que maintenant c’est le moment de construire sagement sans bruit : “bear market is a time to build”…

Il suffit que les baleines arrivent à convaincre un lot suffisant de “crédules/avides” (le dernier lot des “plus grands imbéciles”, également appelée “théorie du plus grand fou” ou “théorie du survivant”) pour sortir du marché sans trop de casse. Et je constate que c’est en train de marcher. Et que c’est pour cela qu’on voit autant d’articles sur les cryptomonnaies en ce moment : la propagande tente de relancer la machine une dernière fois (pour faciliter la sortie du marché des baleines… après, advienne que pourra !). C’est un discours simple mais bien ciblé qui glorifie les “believers”, ceux qui tiennent bon et qui sont encore des “holders” (des idiots utiles plutôt…).

Une bulle d’illusions, ça existe !

Nous sommes passés d’une bulle spéculative à une bulle d’illusions : ceux qui prétendent encore que la “crypto c’est super” ou que le “web3 c’est l’avenir” sont soit profondément malhonnêtes, soit profondément idiots. Je penche plutôt pour la seconde solution (les malhonnêtes existent mais ils sont moins nombreux) : le dernier carré des fans de crypto est en plein déni de réalité. Attendons le bain de sang afin de voir s’ils sont toujours dans l’enthousiasme…

La crypto va rester

Même un palier à -80% ne va pas “tuer” la crypto (ne serait-ce que pour permettre aux pirates de faire payer leurs ransomwares !) : certains coins vont disparaître (il y en a trop pour qu’il en soit autrement) mais le Bitcoin et l’Ether sont là pour rester, même à des niveaux historiquement bas. Puis, ils vont remonter, progressivement et une nouvelle bulle spéculative va se former. Cela peut prendre deux ans ou plus mais c’est ainsi que ça se passe, hélas.

Épilogue : les leçons qu’on peut/doit tirer de tout cela…

Tout d’abord, il nous faut admettre une bonne fois pour toute que la propagande technique existe, qu’elle s’est emparée des médias et tente (avec un certain succès, voire même un succès certain !) de nous imposer des modes (et peu importe son contenu technique, réel ou supposé) tous les deux/trois ans.

Ensuite, il faut reconnaître que cette mode technique, qui reposait sur peu de choses (le web3) et dont toutes les promesses ont été systématiquement démontées, a tout de même réussie à s’imposer et à occuper une bonne partie de l’espace médiatique avec des “experts” nous expliquant régulièrement et très sérieusement pourquoi nous devions accepter que cette nouveauté fragile et mal assemblée représentait l’avenir de l’informatique sans l’ombre d’un doute.

Nous devons donc nous interroger sur notre crédulité ou, au moins, sur le poids que fait peser la propagande sur les canaux d’informations techniques qui n’en sont presque plus. En effet, comment continuer à considérer que ces canaux ont la moindre crédibilité sur le plan technique puisqu’ils se sont évertués pendant deux ans à nous faire prendre des vessies pour des lanternes ?

Enfin, les leçons du passé ne servent pas à grand-chose. Sinon, comment comprendre qu’il ait fallu tant de temps pour reconnaître ce qu’était le web3 : une bulle spéculative de plus. Pourtant,des bulles spéculatives, on en a vu passer et, à chaque fois, tout le monde a dit “plus jamais ça !” (vous avez remarqué combien cette expression “plus jamais ça” n’atteint jamais son but ?). On savait les caractéristiques d’une bulle, il était facile d’appliquer les critères sur la nouvelle venue et pourtant, rien ou presque. Seuls quelques rares témoins ont dénoncé la situation, les autres ont préféré croire que, cette fois, “to the moon” était une promesse solide et non pas un piège à gogos.

Notre crise sanitaire à nous

Finalement, nous aussi nous avons eu notre “crise sanitaire” dans notre domaine hi-tech !

Avec quasiment le même cirque comme le défilé des faux-experts racontant n’importe quoi mais étant écoutés religieusement. Où tous les comportements sains qui auraient évité cet égarement ont sauté, les uns après les autres : bon sens, discernement, intelligence et scepticisme raisonné. Au lieu du bon sens on a eu l’avidité crédule, au lieu du discernement on a eu l’aveuglement enthousiaste, au lieu de l’intelligence on a eu la folie de la “ruée vers l’or” et au lieu du scepticisme raisonné on a eu le dogmatisme indiscutable de “c’est l’avenir, admettez-le”.

Cet épisode met aussi en exergue nos comportements humains (trop humain !) les moins reluisants : on préfère les gains rapides et faciles à l’effort de longue durée, on préfère écouter les marchands de promesses, même s’ils sont délirants, plutôt que d’entendre les avertissements des (vrais) experts modérés et prudents. Enfin, on préfère l’illusion souriante à la dure réalité même quand les faits sont sous notre nez. Triste et significatif à la fois.

Cette crise de la hi-tech n’est pas terminée et va encore causer des dégâts. Cet épilogue est sévère mais il est juste : la débacle du web3 ne va épargner personne, tout le monde va y perdre quelque chose (et ce n’est pas forcément de l’argent), l’espoir, la fois dans l’évolution technique, la réputation de sérieux des uns et des autres et ainsi de suite. 

Le fact-checking se pratique peu dans le domaine technique mais si l’épisode web3 doit servir à quelque chose, ça doit être au moins à cela : vérifiez, vérifiez, vérifiez. 

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