Toutes les guerres sont des guerres longues

Voilà ce qu’écrivait The Economist cette semaine pour finalement admettre que la guerre en Ukraine allait durer…

La guerre typique est courte. Depuis 1815, la durée médiane des guerres entre États est d’un peu plus de trois mois, calcule Paul Poast de l’université de Chicago. En 2003, l’Amérique a renversé le gouvernement irakien en seulement 20 jours. Le conflit que l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont combattu sur le territoire du Haut-Karabakh en 2020 s’est terminé en 44. Pourtant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est entrée dans son cinquième mois et ne montre aucun signe de fin. “Je crains que nous n’ayons besoin de nous armer pour une longue guerre”, a écrit Boris Johnson, le Premier ministre britannique, à la mi-juin. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan, a fait écho à son avertissement : « Nous devons nous préparer au fait que cela pourrait prendre des années.

Il se trouve que je crois tout le contraire de ce qui est affirmé au début de ce texte : il n’y a PAS de guerre courte !

Et croire que le conflit Ukrainien dure depuis février 2022, c’est faire complètement l’impasse sur le fait qu’il a commencé en 2014…

Quand on examine l’Histoire, on s’aperçoit que les guerres courtes sont les exceptions et les guerres longues la règle. On peut ainsi multiplier les exemples tels que la Seconde Guerre Mondiale est un prolongement de la Première et ainsi de suite. La fameuse “Guerre de Cent ans” n’a pas été un conflit intense et ininterrompu pendant un siècle, il y a eu des périodes d’accalmies mais, même pendant ces périodes, les conditions du conflit étaient toujours présentes d’où sa durée.

Pour illustrer cette fatalité, je vous propose un extrait de mon livre “La guerre des Froes” où le personnage principal explique que tous les conflits sont des guerres d’attrition (ou d’usure) et que le mythe de la “bataille décisive” est une illusion coûteuse.

31 décembre 2336

À linitiative de lattaché culturel du consulat, Franck Ilkor, les différentes factions des rebelles se sont réunies pour se coordonner. Une fois tout le monde en place dans un théâtre, Ilkor monta sur scène, où une tribune avait été aménagée, et prit la parole.

Nobles délégués, vous n’êtes pas des clandestins, vous n’êtes pas des rebelles, vous êtes des révolutionnaires!

Cest vous le fer de lance de la nouvelle société qui naitra sur Froes II et qui sera le modèle à suivre pour toutes les colonies. Ce nest pas simplement votre monde qui vous regarde, mais tout lunivers connu!

Jai pris linitiative de cette réunion secrète, la dernière de ce genre, pour nous coordonner avant le grand affrontement qui sannonce

Oui, et ce nest pas la première initiative que prend notre allié inattendu!

Qui vous a permis de diffuser cette vidéo de revendication qui nous désigne au congrès terrien?

Nous sommes encore loin d’être prêts pour autre chose que des actions ponctuelles et clandestines

Détrompez-vous, on n’en est plus là. Si le congrès a été un peu long à la détente, je savais grâce à mes sources sur Terre que les corporations avaient déjà compris quil ne sagissait pas de simples piratesMieux vaut avoir lavantage dans cette guerre, qui est aussi un affrontement psychologique relayé par les médias.

Tout cela, cest très joli, mais que propose Ilkor?

Une bataille rangée dans lespace?

Laissons parler le général McLaren, le seul ici qui ait lexpérience du combat militaire, le seul qui sache de quoi on parle quand il sagit de guerre

Le général en question se leva, monta à la tribune sanglé dans une vareuse sobre qui faisait penser à un uniforme du passé.

Nous navons pas de flotte, nous navons pas darmée et nous navons pas de cadres pour la commander si nous arrivions à en lever une. Tout ce que nous avons, ce sont quelques vaisseaux marchands habilement maquillés mais sans arme, menés par des pilotes audacieux, mais sans grande expérience et encore moins de discipline. Quand la Terre alignera une flotte digne de ce nom, nous ne pourrons résister. Cest aussi simple que cela.

Un murmure parcourut la salle suite à lexposé du général. Seul Ilkor semblait serein, comme si c’était justement le discours quil attendait

Jai bien compris lexposé de votre général, nobles délégués. Jai bien compris quil pensait que nos forces étaient insuffisantes pour battre celles den face et, sûrement en cela, il a raison.

Mais contrairement à ce quil pense, ce nest pas important. Un général, cest un homme de terrain et qui ne voit pas plus loin que son terrain. Et ce terrain justement, cest le champ de bataille, le « théâtre des opérations » comme disent les plus modernes. Et ces gens-là veulent simplement gagner la bataille, à tout prix éventuellement. Or, ce nest justement pas ce qui compte. Peu importe que vous remportiez une bataille, voire plusieurs, ce nest pas ainsi quon gagne une guerre. Or, les généraux pensent au contraire que rien dautre ne compte, quil faut absolument gagner la bataille, de même que la suivante et ainsi de suite. Mais, en vérité, cet état desprit ne vous mène nulle part sinon dans une guerre sans fin. Je le répète, ce nest pas de gagner le prochain affrontement de vaisseaux ou de troupes qui va vous donner votre indépendance, au contraire!

Chaque bataille rudement menée vous éloigne toujours plus de cet objectif final. Chaque affrontement vous affaiblit et vous finissez par ne plus pouvoir mener ni supporter aucun combat et cest la fin. Certes, votre adversaire est affaibli aussi, mais comme il était plus fort au départ, il restera toujours plus fort, jusqu’à être en position de vous dicter ses conditions. Et cest ça quil faut éviter à tout prix. Et cest pour cela que ce ne sont pas des généraux bornés qui peuvent faire triompher votre cause, alors que moi, je le peux.

Moi, je sais comment mener une guerre parce que cest précisément ça qui est important : mener la guerre et non pas gagner des batailles. Cest très différent et il y a très peu de gens en mesure de le comprendre. Les batailles sont des éléments du parcours, quil faut gérer soigneusement, mais sans jamais perdre de vue le parcours lui-même.

Je vais vous livrer ici et maintenant le secret dune guerre bien menée, nobles délégués, le secret qui donne la clé de la victoire, la vraie victoire, la victoire finale, celle où le chef d’État ennemi vous demande vos conditions, pas celle où le général vaincu vous remet son épée sur un champ de bataille boueux et ravagé. Ce secret tient en deux éléments. Le premier est que la notion de bataille décisive est un mythe. Oui, je sais que les généraux de toutes les époques nont eu que cela à la bouche, mais cest un mensonge, comme toutes les promesses trop vendues. La bataille décisive est toujours censée être la prochaine, celle qui est bout du chemin, celle où il ne reste plus quun effort pour lobtenir. Et pour N raisons, elle se dérobe toujours, ladversaire même défait sarrange toujours pour revenir sur le tapis.

Parce que la terrible vérité est quil ny a pas de guerre courte, toutes les guerres sont longues. Une guerre courte, cest un malentendu, une erreur et plus sûrement une vue de lesprit, ça narrive simplement jamais. Une guerre, une vraie, cest une lutte à mort, ce nest pas une compétition sportive avec des règles et un adversaire qui joue fair-play, cest une tempête qui ne connait pas dapaisement et qui enfle toujours plus, dévorant tout sur son passage.

Et cest le second élément du secret : toutes les guerres sont des guerres dattrition. Toutes les guerres sont longues, très longues, toujours plus longues quenvisagé et se terminent toujours de la même façon : un des deux adversaires est trop épuisé pour continuer et demande merci, point. Toujours, ça finit toujours comme cela. Pas par une défaite soudaine et désastreuse, mais par une accumulation lente et douloureuse d’événements contraires et coûteux. Cest ça qui finit par vous perdre : le fait de comprendre trop tard quune guerre coûte trop cher et que vous naviez pas les moyens.

Rassurez-vous, personne na les moyens et seuls ceux qui lont compris sen sortent mieux, en remportant le morceau au final. Pas grâce à la force de votre armée ou à lhabileté de vos généraux, mais parce que vous aviez compris quune guerre est une épreuve au long terme, quil faut la gérer ainsi, dès le premier jour, dès la première bataille. Il ne faut pas viser les succès ponctuels, ce sont des mirages, seul importe le décompte final. Une victoire qui vous a coûté cher vous affaiblit plus quune défaite bien gérée. Cest tellement éloigné de la mentalité des militaires que vous nen trouverez aucun prêt à se comporter ainsi. Ils ne veulent pas gérer laffrontement, ils veulent juste se battre parce quils ne connaissent que cela.

Or, ce nest pas dans les combats quon peut gagner le plus, mais cest bien là, en revanche, quon peut perdre beaucoup. La guerre ne se mène pas seulement sur les champs de bataille et cest ignorer cela qui conduit à la défaite. Il faut soccuper de lapprovisionnement, du soin des blessés, il faut mettre en place une économie de guerre, il faut sattacher le soutien des populations et, surtout, il faut en savoir plus que son adversaire nen sait sur lui-même.

La vraie bataille qui compte, cest celle de lombre, celle de lintelligence. Rien ne sert davoir une armée ou une flotte forte si vous ne savez pas où et comment lutiliser. Peu importe que vous soyez plus faible sur le papier si vous savez vous placer là où votre infériorité est effacée, là où le nombre compte moins, là où vous avez tout à gagner et peu à perdre. Cest ça que lintelligence va nous apporter sur un plateau avec très peu deffort. Laissez votre adversaire se tromper de combat, de chemin et dobjectif. Laissez-le lancer de coûteux programmes afin de se doter dun futur éventuel avantage technique, laissez-le senferrer dans ses propres erreurs, laissez-le triompher dans des batailles sans véritables enjeux, laissez-lui croire à sa victoire jusquau moment où vous serez en position pour révéler votre vraie valeur.

La Terre vient déjà de sengager sur cette pente en lançant la construction dune escadre de vaisseaux de guerre. Cette flotte va lui coûter cher alors que son économie est déjà affectée par linterruption du flux de nos ressources. La supériorité de la Terre repose sur les flux qui lui arrivent des colonies. Sans nous, la Terre est démunie, sans ressources et sans capacité à mener une guerre longue. Si cette escadre ne produit pas rapidement des victoires éclatantes, vous verrez que les médias terriens vont se déchainer contre le congrès… ça sera le début de la fin pour eux.

La salle était subjuguée par ce discours bien articulé. Les délégués se regardaient, conscients quun chef venait d’émerger. Finalement, lun deux prit la parole

Je crois exprimer le sentiment général en vous remerciant pour votre discours galvanisant!

Nous voulons tous agir intelligemment. Nous voulons tous être conduits par un chef ayant une vision claire de ce quil faut faire. Nous voulons tous vaincre la Terre et devenir indépendants.

Conduisez-nous à la victoire, exposez votre plan, nous vous suivrons!

Merci pour votre confiance. Nous allons mener un combat asymétrique qui va dérouter la flotte terrienne. Cest dans lespace que tout va se jouer et cest là que nous allons les user, les perdre et finalement les battre. À force de perdre des escadres en voulant nous anéantir, le congrès va vite crier “pouce” et demander nos conditions.

Grâce aux sources que jai sur Terre, nous aurons toujours un coup davance. Nous devons préparer une flotte de vaisseaux qui va dérouter ladversaire, lui imposer de lourdes pertes quand il ne sy attendra pas. Mais le tout avec une économie de moyens qui nous assurera le soutien des populations et la capacité à durer. Jusqu’à la victoire!

Jusqu’à la victoire!

Jusqu’à la victoire, oui!!

La salle n’était plus que cris enthousiastes; tous répétaient « jusqu’à la victoire » en souriant, en s’étreignant. Ilkor regardait ces hommes avec satisfaction : il venait de remporter la première victoire, la plus importante, les unir tous dans un seul but, sous sa direction

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